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Le calendrier de la fashion week de Paris est hautement stratégique : les plus grosses marques veulent en général défiler au tout début ou à la fin – ce n’est pas un hasard si Louis Vuitton, dont le chiffre d’affaires dépasse celui de tous ses concurrents, clôt le bal chaque saison. Aux troisième et quatrième jours de cette semaine de la mode printemps-été 2025, qui se déroule jusqu’au 1er octobre, ce sont donc plutôt des maisons de taille moyenne qui ont défilé. Avec des visions pour le moins contrastées du vestiaire estival : austère, fleuri, décontracté ou architecturé, il y en a pour toutes les sensibilités.
Chez The Row, les sœurs Olsen, anciennes actrices reconverties designers, n’ont jamais caché leur goût pour le monochrome, les coupes amples, le dépouillement. Elles enfoncent le clou avec une collection resserrée, une vingtaine de looks noirs, blancs ou gris. Jupe près du corps et haut drapé, robe noire dont la rigueur monacale est chatouillée par la chemise immaculée portée dessous, robe bustier qui ressemble à un morceau de tissu nonchalamment retenu par quelques coutures dans le dos… C’est beau et de bon goût, mais ça n’aide pas à se projeter dans l’indolence de l’été.
Même constat chez Courrèges, où Nicolas Di Felice a voulu « travailler la notion de cycle, de répétition » et s’est inspiré du ruban de Möbius, qui n’a « ni début, ni fin, ni endroit, ni envers ». Une autre collection noir et blanc, où l’apparente simplicité des formes suit une logique précise : chaque nouvelle silhouette est une mise à jour de la précédente. Une cape cocon à capuche se transforme en manteau au dos arrondi, puis aux épaules anguleuses, perd ses manches, mue en une robe près du corps… Cette recherche formelle ne manque pas d’intérêt et donne naissance à des pièces attrayantes, telle une jupette à moitié drapée et à moitié volantée. Néanmoins, un peu de fantaisie ne ferait pas de mal et permettrait à Nicolas Di Felice d’ouvrir le champ des possibles.
Avec sa garde-robe estivale et colorée, Chloé sort du lot. La directrice artistique Chemena Kamali signe sa deuxième collection pour la maison française qui, ces dernières années, avait un peu perdu sa boussole, tiraillée entre les visions divergentes de ses designers successives : le vestiaire était doux du temps de Clare Waight Keller, puis conceptuel avec Natacha Ramsay-Levi, bourgeois, enfin, avec Gabriela Hearst.
Sans doute aussi pour clarifier le positionnement de la marque, Chemena Kamali s’appuie beaucoup sur les archives, en particulier les années 1970, quand Karl Lagerfeld en pilotait la création : « Le public ne connaît pas la richesse du patrimoine de Chloé, affirme-t-elle. C’est une maison qui a plus de 70 ans, dans laquelle Karl Lagerfeld est resté trente ans, et où il était heureux. C’était son terrain de jeu. Le flou, la légèreté, le mouvement dans le vêtement, c’est lui qui a instauré ces principes. »
La créatrice allemande capitalise habilement dessus, reprenant les dentelles délicates du passé pour en faire des robes transparentes ou des blouses à manches gigots. Elle remet au goût du jour la culotte bouffante, portée avec une petite veste en cuir froncé. Elle délave les imprimés floraux des seventies qu’elle applique sur de grandes robes vaporeuses se déployant au rythme des pas.
Au milieu de ce vestiaire pastel bourgeonnant, elle n’oublie pas de placer des intemporels bien troussés (jean taille haute un peu pattes d’ef, débardeur ceinturé, trench évasé), ainsi qu’une foule d’accessoires bien pensés (chaussures en crochet, sac bijou…). Chemena Kamali, qui veut « faire découvrir Chloé à la nouvelle génération », met toutes les chances de son côté. Il sera intéressant de voir ce qu’elle aura à proposer une fois émancipée de son devoir de mémoire.
Chez Dries Van Noten, depuis juin et le départ du fondateur éponyme de la marque, le studio œuvre seul. La tâche n’est pas facile, car la grâce des défilés de la maison tenait au goût très sûr du designer belge, capable de faire vivre harmonieusement des éléments dissonants, de jouer avec des couleurs et des imprimés foisonnants. La collection présentée n’est pas sans qualités : avec ses motifs vénéneux, ses dentelles fauves, ses soies brillantes et ses broderies métalliques, elle respecte les codes de la marque et en offre une lecture plus sensuelle. Mais elle perd aussi en charme et en acuité. L’arrivée d’un directeur artistique qui se sentirait légitime pour entamer un nouveau chapitre serait sans doute bénéfique.
Chez Acne Studios, il est bon de revoir enfin des vêtements dans lesquels on peut se projeter. Le label suédois s’était un peu perdu dans des pièces lacérées, sexy et très moulantes, hautement instagrammables mais peu envisageables pour le commun des mortels. La créativité semble de retour. Le décor, imaginé par l’artiste américain Jonathan Lyndon Chase, est composé de canapés tagués et de peintures murales représentant des lampes, des ventilateurs ou des radios.
« Je me suis demandé si les codes domestiques classiques pouvaient être réinterprétés dans la mode », explique Jonny Johansson, directeur de la création. Le mobilier d’intérieur – rideaux, nappes cirées, tissus d’ameublement – est traduit en vêtements : les longues robes du soir sont fendues et drapées, des hauts à l’imprimé fleuri seventies accompagnent des jeans larges, et de grands manteaux en cuir verni sont noués à la taille. L’esprit pop se niche dans des robes courtes et gonflées, des vestes en jean comme molletonnées ou des jupes courtes à carreaux, rehaussées de gros nœuds.
Un patchwork créatif que Julien Dossena décline aussi habilement chez Rabanne. « Le point de départ est le film Safe [1995], de Todd Haynes, avec Julianne Moore. Cela se passe à la fin des années 1980, à Los Angeles. Il y a toutes ces couleurs pastel, dans les vêtements comme dans le décor. C’est l’histoire d’une femme qui se retire peu à peu du monde moderne, qui se cache, notamment grâce aux vêtements », détaille le créateur français. Une histoire retranscrite ici à travers des superpositions, des chemisiers bleu layette passés par-dessus des robes argentées, ou des robes courtes nouées à la taille en guise de protection.
L’allure gagne en sophistication avec les robes dorées – l’une s’accompagne d’un sac composé de 157 médailles en or 18 carats, imaginé avec Arthus Bertrand –, les plastrons en organza brodés de motifs floraux argentés, ou cette robe courte en céramique émaillée grise, conçue avec Astier de Villatte. Un autre sac a été fabriqué par Venini, verrier sur l’île vénitienne de Murano (Italie). Un vestiaire délicat, au sens propre comme au figuré.
Sur le podium de Balmain, on retrouve l’extravagance propre à Olivier Rousteing : des robes perlées représentant des visages à la bouche rouge ; d’autres, corsetées, évoquant des flacons de parfum ; des bijoux dorés clinquants ou encore des talons hauts en forme de tube de rouge à lèvres… Mais c’est un Balmain familier qui attire l’œil, avec des vestes très épaulées et des pantalons en cuir près de la jambe, terminant leur course dans des bottes hautes.
« Je me suis replongé dans mes propres archives, lorsque j’ai pris la direction artistique de la maison, en 2011, à 24 ans. J’ai voulu revenir à mes pièces iconiques, et être pleinement moi-même », explique en coulisse Olivier Rousteing… qui soudain disparaît. « Olivier est allé faire un tour dans la fan-zone, il revient », explique un attaché de presse. La fan-zone ? Un écran géant installé à l’extérieur du Théâtre de Chaillot, où des centaines de fans du designer, trempés par une pluie diluvienne, ont pu suivre le défilé. Dans la salle, c’est une autre admiratrice qui a attiré l’attention : Brigitte Macron, accompagnée de sa fille Tiphaine Auzière.
Chez Mugler, qui célèbre ses 50 ans en 2024, les codes de la maison sont également présents : les épaules des vestes sont architecturées au possible, les corsets sanglent les corps à l’extrême et les robes d’organza sont drapées autour de la silhouette, sans rien cacher ou presque. Casey Cadwallader, à la tête du style depuis 2017, s’est beaucoup inspiré de références végétales. Les tulles sont coupés en biais, évoquant des pétales, et des motifs fleuris, colorés et comme brouillés, sont imprimés sur des robes courtes. « J’ai passé beaucoup de temps cet été à jardiner dans ma nouvelle maison de campagne, près de Fontainebleau. Et à tondre la pelouse ! C’est très méditatif, non ? » La collection, moins grandiloquente que d’habitude, invite en effet à la contemplation des vêtements.
Elvire von Bardeleben et Maud Gabrielson
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